Il était une fois un chien lévrier
du nom de Verbaux qui appartenait à un riche
gentilhomme, Aubry de Montdidier.
Le roi tenait Aubry en grande
estime et lui prodiguait ses faveurs, ce qui rendit
envieux un autre gentilhomme de la cour, le chevalier
Macaire.
Ce dernier, à différentes
reprises chercha querelle à Aubry, lequel ne répondit
que par indifférence et mépris aux provocations du
chevalier.
À la fin, Macaire n'y tint plus.
Une nuit, il guetta Aubry dans la forêt, se jeta sur
lui traîtreusement, un poignard à la main, et le
tua. Puis s'enfuit à cheval.
Le chien Verbaux, qui traînait
à la suite de son maître, vit seulement la fuite de
l'assassin. Il se précipita vers le corps sans vie étendu
sur la mousse et les feuilles, se mit à aboyer, à
hurler à la mort.
Toute la nuit, il veilla ainsi le
cadavre ; la forêt était déserte, profonde, peu de
personnes s'y hasardaient... Au matin, Verbaux, gémissant,
regagna Montargis, où de braves gens le voyant errer,
l'air pitoyable, lui donnèrent à manger et le firent
boire. Certains le reconnurent...
Aubry de Montdidier a disparu, on
s'interroge, on s'inquiète, on le recherche, et on
finit par retrouver son corps dans la forêt.
Le roi ordonne une enquête sur
cet assassinat qui le peine. L'enquête ne permet pas
de retrouver le coupable. On accuse les brigands, des
soldats déserteurs, n'importe qui. En ce temps, les
forêts servent de refuge à nombre de malfaiteurs...
Les mois passent. Un jour, le
chien Verbaux croise Macaire dans la rue. Alors, il se
précipite sur lui, plein de fureur, la gueule
ouverte, cherche à le mordre.
Heureusement pour le chevalier,
des valets attrapent le lévrier, le repoussent, le
chassent.
Macaire, qui a crié de peur est tout pâle, il s'éloigne
avec précipitation...
Le roi est prévenu de cet
incident, il n'a pas oublié Aubry, le gentilhomme de
sa suite ; il fait venir Macaire devant lui, le presse
de questions. L'assassin se défend, mais le roi
demande aussi qu'on lui amène Verbaux...
Lorsqu'il aperçoit Macaire
devant lui, Verbaux aboie avec colère, cherche à
nouveau à lui sauter à la gorge.
Comme on le retient, il se jette
aux pieds du roi, aboie plaintivement, lève vers lui
des yeux emplis de tristesse, semble réclamer
justice...
Le roi reste troublé, pensif. Il
interroge encore le chevalier Macaire, dont les réponses
ne le satisfont pas entièrement. Alors, à la grande
stupeur de l'assistance, il décide de s'en remettre
au jugement de Dieu. Un duel singulier sera organisé,
opposant Macaire et Verbaux...
Le combat aura lieu sur le pâtis
de la ville, c'est-à-dire sur le terrain inculte réservé
aux troupeaux communaux ; une palissade est bâtie, séparant
la lice où s'affronteront les combattants, des
spectateurs.
Le jour du duel, une foule
importante se presse pour y assister : le roi en
personne, la cour, le clergé, et un grand renfort de
peuple, hommes, femmes et enfants qui murmurent...
Mais les hérauts d'armes
demandent de faire silence, ils rappellent les règles
du combat, défendent que quiconque porte secours à
l'un ou à l'autre des adversaires sous peine de mort
immédiate.
Le
chevalier Macaire entre dans le champ clos, sans
armure, armé d'un seul bâton ; les spectateurs
pensent qu'il est fort et lourd, et que Verbaux aura
du mal à lui tenir tête.
Le lévrier paraît à son tour.
On lui a installé pour refuge possible un large
tonneau percé aux deux extrémités...
Le combat commence. Macaire
attaque, frappant du bâton, cherchant d'emblée à écraser
l'animal sous les coups furieux qu'il lui porte, et
que Verbaux ne peut tous éviter.
Macaire est adroit, le chien
recule, Macaire redouble d'efforts. Il se sent
maintenant en confiance et se découvre.
Alors soudain,
Verbaux bondit en avant et prend le chevalier à la
gorge ! La foule retient son souffle, mais un cri se
fait entendre dans les tribunes ; c'est un parent de
Macaire qui réagit et veut aller à son secours. Des
gardes l'empoignent, le repoussent...
Dans la lice, Macaire tente en
vain de se dégager ; son bâton est à terre... Le lévrier
lui serre si fort le cou entre ses crocs que
l'assassin n'en peut plus et finit par
supplier en un râle :
- Qu'il me lâche, par pitié...
Le roi se dresse sur son banc et demande :
- Avoues-tu ton forfait ?
- J'avoue ! gémit Macaire. J'ai tué Aubry de
Montdidier.
Verbaux semble avoir compris, un
soubresaut l'agite, il mord plus profondément encore,
comme s'il voulait en finir avec le criminel. Mais le
roi lui ordonne de lâcher prise. Il obéit aussitôt.
Macaire tient à deux mains son
cou ensanglanté, la foule se tait toujours, attendant
le verdict royal. Et le roi déclare :
- Dieu s'est prononcé, le chevalier Macaire est
coupable, il sera pendu !
La foule applaudit ; allongé sur
le sol le lévrier Verbaux gronde doucement, comme
apaisé.